Une longue attente
L'opposition maternelle
Le désir d'Elisabeth d'entrer au Carmel ainsi que son amour pour Jésus s'expriment intensément au fil des pages du Journal qu'elle tient en 1899 et 1900 à l'occasion des missions prêchées par les Père Rédemptoristes à l'église Saint-Michel.
"J'ai rencontré un confesseur comme je n'en avais jamais trouvé et je remercie le bon Dieu Le Père m'a trouvé toutes les marques d'une vraie vocation. Il croit, lui aussi, que Jésus m'appelle au Carmel - et cette vocation est la plus belle. "Journal 57
"Je t'aime tant, mon coeur brûle d'un tel amour pour toi, que je ne puis vivre tranquille et heureuse, alors que toi, mon Epoux Bien-Aimé, tu souffres. Partager tes douleurs, les adoucir, porter une croix bien lourde, bien pesante après toi, voilà tout ce que j'envie. Car je t'aime, ô ma Vie, je t'aime à en mourir. Oh, tu as blessé mon coeur du trait de ton amour, et il ne peut plus être heureux ici-bas. Toi seul peux lui donner le bonheur en partageant tes douleurs. Oh merci, Jésus, merci!..."
Journal 95
Le veto de madame Catez reste formel, qui a aussi interdit à sa fille tout contact avec les sœurs. Elisabeth espère en silence, cultivant la douceur qu'elle a conquise. Ainsi en témoigne Guite, sa sœur, dont elle est si proche :
"Cette enfant si difficile est devenue une jeune fille possédant un beau calme mais non sans efforts car ne voulant répondre à un reproche injuste ou à une observation imméritée, une larme perlant à ses paupières montrait la lutte intérieure qu'Elisabeth soutenait avec un véritable héroïsme, si bien que notre chère maman qui était la vivacité même lui disait quelquefois : "Mais fâche-toi donc, tu m'impatientes avec ton calme !"Elisabeth avait seize ans ou même peut-être dix-huit quand, voulant déboucher une bouteille d'encre, elle eut la maladresse de tacher sa robe toute neuve ; maman lui appliqua une gifle mais Elisabeth accepta avec sa douceur habituelle cette correction qui semblait n'être plus de son âge.
Témoignage de Guite
Ne voulant pas faire de peine à sa maman ni peser sur l'atmosphère familiale et parce qu'elle a compris que Jésus la rejoint ici et maintenant, elle reste très présente à toutes ses occupations ; mais ses proches la sentent prise "ailleurs". Son regard au cours des matinées dansantes oriente vers une autre Présence...
"Voilà les réunions mondaines qui recommencent ; vous savez si j'aime cela ; enfin je l'offre au bon Dieu, il me semble que rien ne peut distraire de lui. Lorsqu'on n'agit que pour lui, toujours en sa sainte présence, sous ce divin regard qui pénètre dans le plus intime de l'âme, même au milieu du monde on peut l'écouter, dans le silence d'un cœur qui ne veut être qu'à lui."Lettre 38 au chanoine Angles du 1er décembre 1900
La permission tant attendue
La longue attente d'Elisabeth va enfin voir se dessiner un terme. Le dimanche 26 mars 1899, elle écrit dans son Journal :
" Marguerite a encore abordé le sujet de ma vocation ; maman lui a répondu que je ne devais plus y penser, et qu'elle ne m'en parlerait pas la première. Cependant, après le déjeuner, cette pauvre mère m'interrogea. Quand elle vit mes idées toujours les mêmes, elle versa beaucoup de larmes et me dit qu'elle ne m'empêcherait pas de partir à vingt et un ans ; que j'avais donc seulement deux ans d'attente et qu'en conscience, je ne pouvais laisser ma sœur avant."Journal 105
Elisabeth aura 21 ans le 18 juillet 1901. Elle doit donc attendre encore deux ans. Elle utilise ce temps pour se préparer intérieurement laissant se développer une profonde intimité avec Dieu qui demeure en elle.
"Maître, que ma vie soit une oraison continuelle. Que rien, rien, n'est-ce pas, ne puisse me distraire de toi, ni mes occupations, ni les plaisirs, ni la souffrance. Que je sois abîmée en toi, que je fasse tout sous ton regard. Maître, prends-moi, prends-moi bien tout entière. Dans cinq jours Marie-Louise va tout quitter pour toi je te la donne en te remerciant au milieu de mes larmes de nous avoir choisies toutes deux pour être tes épouses. Je voudrais pouvoir comme elle dire adieu à celles que j'aime si tendrement, et quitter aussi tout pour toi. Mais l'heure n'est pas venue, que ta volonté soit faite. Sainte volonté de mon Dieu, sois toujours la mienne ! Ah, du moins, dans le monde je puis t'appartenir ; oui, n'est-ce pas, je suis tienne. Prends-moi, prends ma volonté, prends tout mon être. Qu'Elisabeth disparaisse, qu'il ne reste que Jésus."Journal 156
Enfin la date de son entrée au Carmel est fixée au 2 août 1901. En envoyant une dernière photographie au chanoine Angles Elisabeth écrit :
"Vous ai-je jamais dit mon nom au Carmel : Marie-Elisabeth de la Trinité. Il me semble que ce nom indique une vocation particulière, n'est-ce pas qu'il est beau ? J'aime tant ce mystère de la Sainte Trinité, c'est un abîme dans lequel je me perds !...Adieu, cher Monsieur, je vous envoie ma photographie ; pendant qu'on la faisait je pensais à Lui, c'est donc Lui qu'elle vous portera. En la regardant priez-le pour moi, j'en ai besoin, je vous assure."