Les excursions dans le Jura
Août 1895, Elisabeth part en vacances dans le Jura, au village de Champagnole avec sa maman et sa sœur Marguerite. Une famille amie, les Hallo, se joint à elles pour louer le presbytère resté vide. Ils y séjournent presque deux mois. Comme travail de vacances, Elisabeth compose un cahier, « Excursions dans le Jura », dont les pages démontrent combien elle jouit de ce séjour en compagnie de Marie-Louise et Charles.
Première excursion : La percée de Sirod
"Par une belle journée d'août, à 5 heures du soir, nous montions, Marie Louise, Marguerite, Charles et moi, accompagnés de Lucie, dans la voiture du boucher de Champagnole, voiture très rustique. Notre cheval était très bon et nous fendions l’air. La route était délicieuse, une véritable Suisse : de tous côtés la montagne, la montagne à perte de vue !... Nous passons sous le pont de Siam qui a 2 mètres de hauteur ; quel spectacle ravissant, surtout lorsqu'on aperçoit le chemin de fer au dessus.
Nous voici au bourg de Siam. Nous passons devant de délicieuses cascades : quelle route ravissante ! Nous apercevons les noires cheminées des forges de Sirod ; ici tout est sombre, on entend le bruit de la cascade qui descend du haut de la montagne, c'est un autre aspect. Le paysage est bien beau : à chaque instant on voudrait s'arrêter pour jouir davantage de la vue qui se déroule aux yeux.
Au bout d’une heure et demie, nous arrivons devant la roche percée, spectacle digne d'admiration ! La montagne se trouve percée pendant une longueur de plusieurs mètres. A l'autre bout, on aperçoit une statue de la Vierge perdue dans l'immense plaine ! Le retour fut aussi agréable. Le soleil était couché et les sapins avaient une teinte de mélancolie profonde. Le chemin nous parut trop court et nous n'oublierons pas notre promenade à la percée de Sirod."
Deuxième excursion : Le lac de Chalain
"Par une horrible chaleur, à 1 heure de l'après-midi, nous montions en voiture pour le lac de Chalain. Je ne puis dire que la route était belle, car on ne se serait pas cru dans le Jura, mais dans un pays de plaines. Cependant, de temps en temps on apercevait les belles montagnes couvertes de sapins, puis on retombait dans la plaine. Au bout de deux heures nous apercevons dans le lointain les eaux du lac. Nous descendons de voiture et, pendant environ une demi-heure, nous traversons de superbes allées dans les bois.
Cette fois, le paysage est délicieux : tantôt on aperçoit les rochers, tantôt les eaux bleues du lac se balançant comme la mer au pied de la montagne. Enfin nous voici devant l'immense lac de deux kilomètres de longueur. Tout autour la montagne. Ici, caché dans le bois, l'antique manoir.
Salut ! salut ! beau lac d'azur
Où se reflète le ciel pur.
Salut ! antique montagne !
Salut ! riante campagne !
Nous nous asseyons au bord de l'eau. A nos pieds se brisent les vagues ; nous sommes dans le bois à un endroit ravissant. On sort le goûter, auquel nous faisons grand honneur, et jusqu'à 5 heures et demie nous restons au bord du lac. Mais il faut songer à reprendre le chemin de Champagnole. Cette fois nous avons une ravissante route, et c'est avec regret que nous rentrons. Les meilleures choses ont une fin !"
Troisième excursion : La cascade des Planches
"Depuis notre arrivée à Champagnole nous faisons le projet d'aller à la Cascade des Planches et c'est avec plaisir que, le 16 août, nous montions en voiture pour ce ravissant endroit. Nous passons par une route ravissante : à gauche l'Ain au fond d'un précipice, à droite la montagne couverte de sapins. Nous ne nous lassions d'admirer cette nature si belle qui toujours se déroulait à nos yeux.
Cette route délicieuse nous conduisit jusqu'à la Cascade. Nous mettons pied à terre, prenons un petit sentier fort dangereux, et le plus beau spectacle s'offre à nous : l'eau descend comme une trombe des rochers en faisant un grand bruit et vient se perdre dans d'autres rochers au fond d'un précipice, avec une telle rapidité et en si grande quantité que l'on croirait voir de la fumée et des diamants. J'étais en extase devant cette cascade, et je n'étais pas seule : plusieurs touristes étaient aussi en admiration, entre autres des personnes de Dijon. C'est avec regret que nous quittons ce délicieux endroit pour un autre non moins beau : nous allons à la scierie et, des fenêtres, nous revoyons la cascade qui descendait de dessous l'usine.
Nous avions encore autre chose à voir et nous quittons les Planches pour aller à la cascade de la Billaude par la Chaux-des-Crotenay. Ce village est parfaitement situé au milieu des montagnes. Quant à la route que nous suivions, on ne peut se faire une idée de ce qu'elle est belle sans l'avoir vue : à droite de superbes rochers d’une hauteur incroyable, à gauche de délicieuses cascades, enfin une véritable Suisse, une route idéale !
Nous arrivons à la cascade. Malheureusement, le sentier étant un peu difficile, nous ne pouvons descendre et nous contentons de voir du haut la superbe cascade, peut-être aussi belle que l'autre. Puis nous remontons dans notre break et à la nuit nous arrivons à la maison. Quelle excursion ravissante !"
Quatrième excursion : Le mont Rivel
"Dimanche après vêpres, par un temps frais, parfait pour une ascension, nous nous dirigions du côté du mont Rivel, munis de nos bâtons indispensables. Le mont Rivel a 789 mètres d'altitude et l'ascension est assez fatigante, surtout par les horribles chemins par lesquels nous sommes passés. Marguerite (véritable chèvre) marchait la première, puis ensuite venait Charles, Marie Louise et enfin moi, toujours dernière dans ces genres d'excursions. Nos mères, trouvant nos chemins trop mauvais, nous avaient confiés à Lucie, afin de passer par des sentiers moins périlleux. Plus d’une fois je fus en détresse : j'avais beau me cramponner à mon solide bâton, je retombais découragée au milieu des ronces.
Enfin, voici le sommet. Nous sommes largement dédommagés par une vue vraiment admirable. Malheureusement, le temps couvert ne nous permet pas de voir le mont Blanc. Nous allons voir les ruines du vieux château, puis nous montons à l'observatoire, où une vue encore plus belle se déroule à nos yeux.
Il est l'heure du dîner ; nous sommes en retard, aussi nous prenons nos jambes à notre cou et descendons au grand galop, ce qui est très amusant : nous étions entraînés et ne pouvions nous arrêter. Vingt minutes plus tard nous étions à la maison, ruisselants de chaleur, mais enchantés de notre excursion."
Cinquième excursion : La source du Lison
"Lundi, à 7 heures moins un quart, nous montions en break pour la source du Lison par un temps superbe. Après deux heures de marche nous arrivions au pont du Diable, qui a 150 mètres de profondeur. Ce pont est admirable ; il est lancé entre deux rochers, et au fond du ravin se trouve un gouffre. Nous nous amusions à jeter de grosses pierres qui mettaient quelque secondes pour descendre, tant nous étions élevés. D'un côté du pont se trouve une énorme tête de diable sculptée dans la perfection. La légende raconte qu'un homme ayant tué sa femme s'était précipité la nuit dans le gouffre.
Après avoir admiré ce beau pont, nous remontâmes en voiture, et une heure après nous arrivions au village de Sainte Anne, délicieusement situé. Nous déposons nos vêtements et, conduits par un jeune guide, nous nous dirigeons du côté de la source. La chaleur était atroce, et nos trois-quarts d'heure nous parurent bien longs. Nous nous installons à un endroit au bord du Lison, sur une belle pelouse, et on prépare le déjeuner : il est midi passé, les estomacs sont creux.
Après le déjeuner nous allons voir la grotte Sarrazine. Quel sentier délicieux pour y arriver !... Une petite Suisse : à gauche les bois, à droite le Lison formant de charmantes cascades, puis les immenses rochers, ici un ravissant petit pont. La grotte est admirable : on est sous une immense voûte d’une hauteur incroyable, et on entend le bruit du Lison. Je n'avais jamais vu un site aussi pittoresque.
Nous nous dirigions ensuite du côté de la source, précédés d’une famille de Salins. Nous voyons d'abord une grotte qui n'a rien de remarquable, puis allons au creux Billard. Nous descendons environ pendant 60 mètres sur des rochers : le chemin était des plus pénibles, par moments j'étais obligée de m'asseoir et de me laisser glisser. Arrivés en bas, le plus beau spectacle s'offre à nos yeux, et je ne puis exprimer l'impression que je ressentis en me trouvant devant ce gouffre de 250 mètres de profondeur. Sur un rocher s'élève une croix à la mémoire d’une pauvre jeune fille, noyée il y a deux ans dans ce trou de l'enfer, et en voyant cette croix j'allai me mettre à genoux et prier pour la malheureuse imprudente. Nous étions tous tristes et parlions du lugubre accident ; puis cet endroit ressemblait, à notre idée, à l'enfer. On se croyait au bout du monde.
A 5 heures nous disions adieu à ce pays si beau, qui vous élève au-dessus des choses de ce monde, et à 10 heures du soir nous apercevions le clocher de la vieille église de Champagnole. II faisait un beau clair de lune. Nous étions mélancoliques et rêveuses, pensant aux belles choses que nous avions vues et remportant un délicieux souvenir de notre excursion à la source du Lison. "
Sixième excursion : Balerme
"A 8 heures du matin, par une fraîche matinée de septembre, nous nous dirigions, maman, Marguerite et moi, du côté de l'Abbaye de Balerme. Au bout de deux kilomètres nous sommes à Ney, charmant petit village situé dans un vallon, et une heure plus tard nous arrivions à un délicieux petit chemin au bord de l'eau, ombragé par la montagne couverte de sapins de plusieurs nuances. Nous le suivons environ une demie-heure, ne nous lassant d'admirer cette nature si belle et si mélancolique.
Ce ravissant sentier nous conduisit jusqu'à l'ancienne Abbaye, qui est admirablement située, entourée de tous côtés par la montagne. Quelle délicieuse solitude devaient goûter ces moines !... Nous visitons l'Abbaye qui n'offre aujourd'hui rien de remarquable. A 10 heures nous songions au retour et disions adieu à ce coin si beau où l'on voudrait rester plus longtemps."