La correspondance
Trois-cent-quarante-six lettres d’Elisabeth sont parvenues jusqu’à nous. La première date du mois d’avril 1882 ; les trois dernières, signées seulement d’une croix, ont été dictées à Mère Germaine au début du mois de novembre 1906. La majorité de ces lettres (L 84 à L 342) ont été écrites après l’entrée d’Elisabeth au Carmel, et couvrent donc les cinq dernières années de sa vie.
Tellement attentive à chacun
En parcourant cette correspondance d’Elisabeth, nous faisons connaissance avec une soixantaine de destinataires, qui sont des membres de sa famille, des amis et amies, des religieuses et des ecclésiastiques. Les plus représentés sont sa mère (41 lettres), sa sœur Guite (40 lettres), ses chères amies Marie-Louise Maurel (28 lettres) et Françoise de Sourdon (25 lettres), ainsi que le chanoine Angles (22 lettres). Il vaut la peine de relever la hauteur de vue de Mère Germaine, qui autorise parfois Elisabeth à écrire plus souvent que prévu, ou bien pendant des périodes où cela n’est normalement pas permis (Avent et Carême). Elle agit ainsi car elle estime que ce sera pour le bien des destinataires, comme c’est le cas pour Madame Catez, qui souffre tant du départ de son aînée. Il faut dire que, précisément, Elisabeth n’écrit pas pour se procurer des distractions à elle-même, mais pour manifester son amitié et son attention à ceux qui lui sont chers. Il est frappant de voir combien, dans ses lettres, elle s’oublie elle-même et se fait toute attention aux autres. Par exemple, nous pouvons lire les lettres qu’elle écrit pendant son noviciat (L 101 à L 152) sans deviner l’obscurité dans laquelle elle se trouve alors.
Un puissant rayonnement spirituel
Dans ses lettres, c’est la lumière de son bonheur profond qui transparaît. Elisabeth est convaincue que l’union avec Dieu qu’elle expérimente est un trésor qu’il faut partager à beaucoup. A ce titre, ses lettres à Guite et à Françoise de Sourdon sont de véritables merveilles de pédagogie spirituelle. « Prends ton Crucifix, regarde, écoute » (L 93)… « Je vois que ma Framboise ne se convertit guère […] Ah, si tu savais ce que c’est bon d’aimer le bon Dieu et de Lui donner ce qu’Il demande » (L 98)… Ces lettres fourmillent de rendez-vous donnés, non pas au parloir du Carmel, mais dans l’oraison : « Veux-tu continuer notre rendez-vous du soir à 8 h ? » (L 98)… « Demeurons en son Amour : c’est là qu’Il donne rendez-vous aux deux petites sœurs » (L 110)… Sachant combien elle est aimée des siens, Elisabeth oriente le cœur de ses proches vers l’horizon qui fascine son propre cœur : l’intimité avec Dieu au-dedans. En faisant preuve de beaucoup de délicatesse, eu égard à la souffrance de celle-ci, elle partage aussi à sa mère ce trésor de grâce : « Que Celui qui m’a prise à Lui soit toujours plus l’Ami en lequel tu te reposes de tout. Vis en son intimité comme l’on vit avec Celui que l’on aime, en un doux cœur à cœur ; c’est le secret du bonheur de ta fille » (L 170).
Les testaments spirituels
Et au soir de sa vie, qu’est-ce qu’une Carmélite si débordante d’affection pour ses amis peut bien leur laisser en héritage ? C’est encore la correspondance d’Elisabeth qui répond à cette question, car nombre des lettres qu’elle écrit au cours de ses derniers mois sur cette terre sont de petits testaments spirituels. A ceux que l’on aime, ne désire-t-on pas léguer ce que l’on a de plus précieux ? C’est exactement ce que fait Elisabeth : « Je vous laisse ma foi en la présence de Dieu, du Dieu tout Amour habitant en nos âmes. Je vous le confie : c’est cette intimité avec Lui "au-dedans" qui a été le beau soleil irradiant ma vie » (L 333). Dans ces dernières lettres, nous voyons aussi comment grandit mystérieusement dans le cœur d’Elisabeth le pressentiment de sa mission posthume – « attirer les âmes en les aidant à sortir d’elles-mêmes pour adhérer à Dieu » (L 335) – jusqu’à ce qu’elle lance, dans sa toute dernière lettre, cette invitation qui retentit jusqu’à nous : « Tu auras des luttes à soutenir […] mais ne te décourage pas, appelle-moi. Oui, appelle ta petite sœur » (L 342).